L’écrivain Philippe Le Guillou publie aux éditions Salvator un livre consacré à sainte Bernadette Soubirous et à Lourdes, « Bernadette, la sainte au rocher » (éditions Salvtaoire, en librairie à partir du 9 mars, 176 pages, 18 euros).
Qui est cette «sainte au rocher», Bernadette Soubirous ?
Philippe Le Guillou. Une jeune fille, qui naît à Lourdes en janvier 1844, dans une famille très pauvre. Elle vit dans un logis, constitué d’une misérable pièce, qui est une ancienne prison, d’où la dénomination «le cachot». Elle a tout juste 14 ans, le 11 février 1858, lorsqu’elle se rend, accompagnée de sa sœur et d’une amie, à Massabielle, près du gave de Pau, pour y chercher du bois. C’est là qu’elle est témoin d’une première apparition silencieuse. Elle voit soudain «quelque chose de blanc». La délicatesse de son interlocutrice la bouleverse, cette figure mystérieuse qui n’a pas voulu donner son nom et qu’elle ne sait pas nommer : dans sa langue de bergère, elle l’appelle Aquero, ce qui signifie «cela». Un cela qui a apparence et voix humaines, un cela qui, de sa niche supérieure, propose à Bernadette de revenir comme si une conversation était sur le point de s’établir entre elles deux. Les apparitions vont se renouveler, jusqu’au mois de juillet 1858, en présence d’une foule de plus en plus importante, ce qui n’est pas sans inquiéter les autorités, responsables de l’ordre public. La grotte, d’ailleurs, sera barricadée et son accès interdit. À la dernière apparition, le 16 juillet, Bernadette est de l’autre côté de la rivière. Elle voit la Dame, plus belle encore, comme si elle se trouvait à ses pieds dans la grotte.
Vous racontez que l’expérience de la foi de la jeune Bernadette est simple, faite de contemplation et de silence. Faut-il avoir un cœur d’enfant pour rencontrer Dieu ?
Un cœur rempli d’ingénuité, un cœur d’une naïveté originelle !
Au bord du Gave, Bernadette voit Aquero, c’est-à-dire l’Immaculée Conception, la Vierge Marie et, finalement, Bernadette ne fait que simplement témoigner. Elle ne cherche pas à convertir. N’est-ce pas ce qui nous touche ?
Elle se contente de rapporter ce dont elle a été témoin, ce qu’elle a vu, ce que la Dame de la Grotte lui a dit. Et c’est cela qui est désarmant de force et de simplicité. Elle n’argumente pas, elle ne cherche pas à convaincre, elle raconte. Et son récit est magnifique et merveilleux.
Quelle place a l’eau dans ce récit ?
Une place essentielle. Le gave de Pau traverse Lourdes. Vert, transparent ou automnal et boueux. Bernadette naît dans un moulin à eau, le moulin de Boly. Et le 25 février 1858, la Dame de la Grotte demande à Bernadette d’aller boire à la fontaine et de s’y laver. Le premier mouvement de Bernadette a été de s’approcher du gave, mais la Dame lui a fait signe de creuser sous la roche.
Très vite, une eau terreuse en sourd. On plante un bâton dans la vasque ainsi creusée, et l’eau ruisselle, de plus en plus abondante et de plus en plus pure. Elle n’a pas cessé de couler depuis. Oui, Bernadette née dans un moulin, dans une proximité aquatique, Bernadette née sous le signe de l’eau, a fait jaillir du rocher une source qui ne tarit pas…
Ce livre est écrit par un pèlerin. Qu’avez-vous trouvé à Lourdes ?
J’ai été frappé par la beauté du site, je n’y étais pas revenu depuis 1974… Oui, une sorte de génie des lieux, la montagne, le Gave, la beauté des basiliques et du sanctuaire. Et la paix, une sérénité, un apaisement, presque palpable dans le flot des visiteurs qui défilent.
Vous y faites allusion, mais nous ne pouvons pas manquer le parallèle entre la vie de sainte Thérèse de Lisieux et sainte Bernadette Soubirous. Qu’ont-elles en commun ?
La foi, vive et ardente. Mais il faut noter une différence : l’une a vu, l’autre pas. L’une a vu le sourire d’une jeune femme dans une grotte, l’autre a deviné la lumière du Roi du ciel qui s’abîmait dans les brumes. La jeune Pyrénéenne a vu l’éclat et la jeunesse de la mère de Dieu, la petite fille de Lisieux a connu le vertige d’un Dieu qui s’absente. On trouve, sur la grande esplanade de Lourdes, deux statues représentant les deux saintes. La présence, en face à face de Bernadette et de Thérèse, ravive ce mystère. C’est ce visage de la pureté et de la simplicité qu’offrent Bernadette et Thérèse. Bernadette accueille sur ses terres la carmélite normande, elle offre à Thérèse la perspective des cimes, l’éclat de la lumière, la pluie aussi qui apporte la mélancolie des contrées du Nord. À Nevers où Bernadette était cloîtrée, plus les années passaient, plus la maladie aussi faisait ses ravages, plus la chronologie des apparitions s’effilochait dans sa mémoire. À Lisieux, dans des circonstances identiques, et de manière plus radicale encore, c’est la Présence qui se voilait soudain, la Lumière qui se retirait au plus profond de la nuit. Les deux saintes de l’esplanade, ces figures inestimables du siècle du positivisme et du matérialisme, sont nos sœurs et c’est avant tout ce que signifie leur présence, elles veillent sur nous, elles nous accompagnent dans nos errances, ces doutes, ces vertiges qui ne sont épargnés à personne…
Finalement, ces deux vies nous démontrent que Dieu est là où on ne l’attend pas, non ?
Il est, par essence, l’Inattendu ! Oui, Dieu est là où on ne l’attend pas, il surgit dans l’apparente banalité des jours, il ne s’adresse pas qu’aux élus et aux clercs, aux doctes et aux porteurs de mitres, il aime avant tout la compagnie des simples.
Que représente pour vous Lourdes dans notre société contemporaine ?
Je citerai les mots de Mgr Ribadeau-Dumas, alors recteur du sanctuaire : «Lourdes est avant tout un lieu de paix, les malades ne viennent pas y chercher la guérison, mais l’apaisement…» C’est à Lourdes, dans le mouvement des foules et des pèlerins, des êtres fragiles et souffrants devenus les premiers, que s’établit l’ordre de la justice que préconise l’Évangile.
Et sainte Bernadette Soubirous ?
La jeune fille qui a vu la Vierge, celle qui a cru et n’a jamais douté, une personne dont la vie a été presque dévastée par les apparitions de Massabielle. Un être incarné qui a vécu, souffert, ri aussi. Une belle personne, simple et discrète. Elle quitte sa ville natale et entre au couvent Saint-Gildard de Nevers. Rien de plus inimaginable, en effet, que Bernadette Soubirous transformée en vedette, en bête de cirque, en proie que l’on s’arrache, en étoile frelatée qui s’en irait divulguer dans les salons et sur les scènes les événements de Massabielle, le contenu de son colloque intime et secret avec la Vierge. À Nevers, derrière les murs du couvent Saint-Gildard, elle cherche l’ombre, le retrait, le silence et la prière. Elle se contente de vivre modestement en faisant son «emploi de malade». Elle ne cherche plus à revoir Aquero. La maladie la ronge et sa mémoire s’effiloche… Dans le secret de son cœur, elle sait que le temps épiphanique des dix-huit rencontres constitue une séquence unique condamnée à s’enfoncer dans l’oubli.
Propos recueillis par Julien Serey
Publié dans Missio n°39 (éditions Oise Normande et Vexin-Thelle) – avril 2023