« Devenus très minoritaires, les catholiques ne doivent pas pour autant se décourager… Seul compte le témoignage de leurs actes. » Géographe, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences morales et politiques, le professeur Jean-Robert Pitte est l’auteur de « La planète catholique » aux éditions Tallandier.
Qu’est-ce qui définit un catholique ?
Jean-Robert Pitte. C’est un chrétien qui tente d’inscrire dans sa vie le message du Christ exprimé dans les Evangiles, qui communie avec la Trinité divine grâce aux sacrements et qui croit au rôle majeur de l’Eglise instituée par Jésus lui-même qui en a confié la conduite à saint Pierre et à ses successeurs. Hors de l’Eglise, point de salut ! Cela n’empêche pas le catholique de dialoguer directement avec Dieu par la prière et les sacrements. Parmi les sacrements, après le baptême – commun à tous les chrétiens -, le plus important est l’eucharistie qui permet de communier au corps et au sang du Christ.
Dans les premières parties de votre livre, nous retenons que « l’une des idées les plus neuves et bouleversantes du christianisme, c’est l’égalité absolue de tous les humains devant Dieu » et pour reprendre Paul Veyne que vous citez, c’est aussi la première fois qu’un Dieu se passionne pour l’humanité. Cela explique-t-il la présence de l’Eglise catholique sur tous les continents et depuis si longtemps ?
Oui, la phrase de saint Paul (lettre aux Galates 3, 28) » Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus ni homme ni femme, car vous êtes un en Jésus-Christ » est profondément neuve et même révolutionnaire dans l’histoire de l’humanité, porteuse d’exigences et de fruits merveilleux. Malgré la passion de notre époque pour l’égalitarisme, il est facile de constater que priment le différentialisme et l’individualisme qui représentent tous deux des appauvrissements de la conditions humaine et sont en contradiction totale avec le message évangélique. La fusion de tous les humains en Dieu (« Vous êtes le corps du Christ« , première lettre de saint Paul aux Corinthiens 12, 27) est un mystère absolu ; c’est le cœur de la foi chrétienne. La présence de l’Eglise sur tous les continents résulte de la passion de transmettre le message du Christ qui remonte aux origines de l’Eglise : « Allez donc, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit, leur apprenant à garder tout ce que je vous ai commandé : et voici que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 28, 19-20).
L’Eglise catholique progresse de 1 à 2 % par an dans le monde. En 2020, un milliard trois cents millions d’individus sont catholiques. Le 27 août 2022, vingt et un cardinaux ont été crées. Treize d’entre eux ne viennent pas d’Europe. Cela veut-il dire que l’Eglise ne séduit plus les pays européens ?
Après avoir conquis tout l’Empire romain, le christianisme s’est étendu vers l’Europe du Nord qui, quelques siècles plus tard, quittera le giron catholique et basculera dans la Réforme. Le Sud-est et le Sud du bassin méditerranéen deviendront musulmans à partir du VIIe siècle tandis qu’à l’Est, le Grand Schisme d’Orient de 1054 a séparé les chrétiens d’Orient de l’Eglise romaine et du pape. Le cœur ardent de l’Eglise catholique est donc le Sud-ouest européen et c’est de là que cette voie du christianisme s’est répandue sur tous les continents grâce aux grandes découvertes et aux conquêtes parties à la fin du XVe siècle des puissances maritimes que sont l’Espagne, le Portugal, la France. Aujourd’hui, cette partie du monde est l’une des plus prospères, mais aussi les plus matérialistes. Les catholiques pratiquants y sont devenus une infime minorité, alors qu’ils demeurent fervents et dynamiques dans bien des régions du monde. Il est compréhensible que la répartition géographique des cardinaux reflète cette situation. Le nombre des Italiens et des Européens en général a été très majoritaire jusqu’au concile Vatican II. Le collège cardinalice a ensuite été ouvert sur le monde. En cas de réunion du conclave, les voyages en avion permettent à tous les membres d’être présents à temps, ce qui n’était pas le cas avant la révolution des transports aériens.
Parlons de Rome, l’adage dit que tous les chemins y mènent… Vous écrivez qu’aucune ville n’égale la ville éternelle. Que voulez-vous dire ?
L’Empire romain était porteur d’un projet politique et culturel universel. L’Eglise également. Elle a donc bénéficié des institutions du premier, et, tout naturellement, l’urbs aeterna des païens romains est devenu la ville éternelle des chrétiens et le tombeau de saint Pierre a supplanté le panthéon. Comme les catholiques croient au rôle essentiel du Pape, le lieu de résidence de celui-ci est pour eux le cœur géographique de l’Eglise.
Pourtant votre confrère André Vauchez a démontré que Jérusalem avait aussi – notamment dans l’expansion des sanctuaires en Europe – une place particulière dans le cœur du croyant ?
Les chrétiens peuvent se rendre en pèlerinage en Terre sainte, afin de méditer et prier là où a vécu le Christ et, en particulier, à Jérusalem où il a souffert sa Passion et où il est ressuscité, mais ce n’est pas une nécessité puisqu’ils savent que lorsque deux ou trois fidèles sont réunis en son nom, il est au milieu d’eux. Les croisades ont surtout constitué un moyen de contenir – sans grand succès – l’expansion musulmane.
Vous êtes un géographe spécialiste du paysage. Dans votre livre, vous vous intéressez aux paysages catholiques. Comment l’Eglise a-t-elle façonné nos paysages ?
En sacralisant l’espace vécu des chrétiens par un maillage d’églises, de cathédrales, de monastères, mais aussi de crucifix et de statues de saints destinés à nourrir la foi des croyants. Le catholique aime les représentations incarnées du divin, ce qui est sacrilège pour un protestant, un juif ou un musulman. Cet idéal a constitué un extraordinaire stimulant pour les arts plastiques.
Sur la carte géographique, il y a aussi le tracé des pèlerinages, des fêtes patronales et des sanctuaires comme les pardons en Bretagne, le chemin de Compostelle, Lourdes ou Lisieux qui donnent à l’Eglise une dimension qui va au-delà des pratiquants du dimanche. Comment analysez-vous ce succès et les conséquences pour l’Eglise ?
Beaucoup de ces pratiques sont devenues culturelles et ont été laïcisées. Cela ne soit pas inquiéter l’Eglise, car les voies du Seigneur sont impénétrables…
En France, l’Eglise doit affronter la chute de la pratique, la baisse des vocations, faire face aux nouvelles modes de funérailles. Le paysage catholique se modifie. Doit-on craindre un effacement ou les catholiques peuvent-ils rester des pôles vivants de la vie spirituelle et sociale de proximité ?
Devenus très minoritaires, les catholiques ne doivent pas pour autant se décourager et sont appelés à déployer de grands efforts pour être plus et mieux le sel de la terre, sans excès de zèle ni, encore moins, d’arrogance. Seul compte le témoignage de leurs actes, de leur façon de vivre, de leur manière exemplaire de pratiquer leur devoir d’Etat. Vaste programme d’une folle exigence ! Ils savent pouvoir compter sur la grâce de Dieu sur ce difficile chemin de la perfection.
Depuis Laudato Si’, l’écologie catholique, intégrale est devenue une préoccupation. Quelle influence les catholiques ont-ils eue sur la gestion de la nature ?
Les catholiques doivent plus que d’autres encore être exemplaires dans le domaine de la gestion durable des ressources et de l’aménagement du territoire. Ils ne peuvent pour autant diviniser l’environnement, une prétendue « nature » qui n’existe pas. L’humanité fait partie de la biodiversité et pour un croyant possède des droits prioritaires. Son seul devoir est d’utiliser avec la plus grande intelligence possible les ressources disponibles en veillant à éviter les appauvrissements irréversibles et à permettre au plus grand nombre d’humains d’en profiter. Toutes les techniques qui vont dans ce sens sont bonnes et l’Eglise doit les bénir. Décroissance, malthusianisme, sacralisation des minéraux, des végétaux et des animaux ne sont pas des idéaux chrétiens.
Le catholicisme pourra-t-il survivre à sa situation actuelle dans le monde occidental ?
Si Dieu le veut et, si nous avons confiance en Lui, nous n’avons aucune raison de nous inquiéter. Deux paroles de Jésus méritent d’être méditées chaque jour. « Regardez les oiseaux du ciel : ils ne sèment, ni ne moissonnent et ils n’amassent rien dans les greniers et votre Père céleste les nourrit. Ne valez-vous pas beaucoup mieux qu’eux. » (évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu 6, 26). « Si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, vous diriez à cette montage : transporte-toi d’ici là, et elle se transporterait ; rien ne vous serait impossible » (Mt 17, 20).
Propos recueillis par Julien Serey
Publié dans Missio n°37 (éditions Oise Normande et Vexin-Thelle) – septembre 2022