Souvent à l’occasion d’un décès, nous découvrons des vieux papiers, des photos jaunies sur lesquelles nous ne reconnaissons pas forcément les visages. Les archives dans les familles restent un mystère, mais racontent un peu de la vie de nos aïeux, de leurs croyances, de leurs parcours, de leurs amours.
Beaucoup d’entre nous ont en mémoire l’image de la boîte à gâteaux recyclée contenant de vieilles photographies, des images pieuses de premières communions, un menu, des cartes postales… Enfant, j’ai le souvenir que mes parents pouvaient revenir avec quelques objets récoltés après un enterrement, ici quelques photographies, là une canne de berger que mon arrière-grand-père utilisait avec ses bêtes. Pour moi, la prise de conscience d’une histoire familiale remonte à l’adolescence, au début des années 1990, quand mon grand-père a souhaité m’offrir un vieux papier… Il devait y tenir, car il était soigneusement rangé dans un tiroir, correctement plié. Il s’agissait d’un faire-part de décès comme il n’en existe plus, à la fois lettre et enveloppe, avec une bordure noire. « C’est ton héritage« , avait-il prononcé en me transmettant le faire-part de décès de mon arrière-arrière-grand-mère. Ni lui, ni moi ne l’avions connue. Elle est morte en 1913, mon grand-père est né en 1930. Pourtant, il y tenait. J’ai même découvert qu’il y était écrit « ta grand-mère » au stylo. Mon grand-père l’avait lui-même hérité, soit de son père, soit de son grand-père, je ne le saurai jamais.
Pourquoi conserve-t-on ces boîtes en fer ?
Maîtresse de conférence à l’université Rennes 2, Caroline Muller, tient un carnet d’études où elle explore cette boîte qu’elle a héritée de sa mère et de sa grand-mère. Elle tente ainsi de comprendre leurs logiques de composition, mais aussi comment se construisent et se transmettent les mémoires familiales en milieu populaire. Dans de nombreuses familles, il n’y a pas « un désir particulier de patrimonialisation de la mémoire familiale ou même de transmission – sans doute liée à l’idée de vies ordinaires dont il ne reste « rien de particulier » à transmettre ». Pourtant, il reste ces boîtes en fer, avec ces photos, ces images pieuses avec, au dos, des noms, pour beaucoup des cousins éloignés, des dates…
Dans l’un de ses billets, Caroline Muller écrit : « Les papiers familiaux sont bien souvent redécouverts au moment où les enfants vident les maisons et en inventorient le contenu – quelque temps après la mort du dernier parent. Ces moments sont propices à d’intenses émotions et retours réflexifs sur le passé. […] « Vider la maison » est un travail difficile, car cela oblige tout à la fois à affronter de fortes émotions sans cesse réactivées. » Pourquoi conserve-t-on telle photographie et non une autre ? Vous pouvez reprendre ce questionnement avec les cartes postales, les vœux, les signets…
Les femmes, gardiennes des liens sociaux et familiaux
Néanmoins, Caroline Muller nous dit que la « constitution du corpus de la boîte » nous permet de découvrir « les rôles familiaux et la manière dont ils façonnent un intérêt pour tel ou tel papier racontant la mémoire de la famille. » Finalement, ces papiers montrent autant qu’ils masquent. La vie du quotidien est parfois absente. Par les faire-part et les images pieuses, nous savons qu’ils sont catholiques, mais à quoi croyaient ils vraiment ? Quel sens donner à leurs pratiques ? Caroline Muller nous indique aussi que les femmes jouent un rôle important dans « l’entretien du courrier, en particulier pour les anniversaires et autres événements« . Elles sont souvent les gardiennes des liens sociaux et familiaux.
Avant de refermer cette boîte, des interrogations demeurent. Que conservons nous à l’heure du numérique ? Sommes-nous prêts à confier cette mémoire à des institutions comme les archives départementales ? Au-delà de la trace que nous souhaitons laisser, que voulons-nous transmettre à la fois en termes de valeurs, d’engagement, de croyance, de preuves d’amour ?
Publié dans Missio n°37, septembre 2022