Trois questions à Philippe Le Guillou

Au début de votre ouvrage, vous écrivez : « Lire Thérèse, méditer et prier avec elle sont, à l’évidence, des actes d’importance. Cheminer avec elle, sur ses traces, l’est tout autant. » Pourquoi, méditer et prier avec Sainte Thérèse est si important ?

Sainte Thérèse est pour moi une figure capitale. L’ardeur de sa vocation, sa jeunesse fauchée, la force et la beauté de ses écrits font d’elle une figure fascinante. Elle meurt à 24 ans, rongée par la tuberculose, elle traverse l’épreuve de la nuit de la foi, elle n’est pas la sainte des sublimes extases et du donjon intérieur, une mystique lointaine, inaccessible. Elle est proche de nous. Elle nous parle. Une forme d’intimité est possible avec elle, une forme de compagnonnage aussi : c’est ce que j’ai voulu faire dans ce livre en accomplissant un pèlerinage à Lisieux.

A plusieurs reprises, vous évoquez l’esprit d’enfance, la voie de l’enfance que dissimule Sainte Thérèse comme un secret. Est-ce que Sainte Thérèse est un « petit jouet » – pour reprendre son expression – de Dieu pour nous rappeler que le Royaume des Cieux est plus accessible aux enfants ?

L’enfance spirituelle, la petite voie ne sont pas réservées aux êtres d’exception. Entrer dans cette enfance spirituelle, c’est reconnaître sa petitesse, c’est mesurer que l’insignifiance des vies est tissée de moments extraordinaires, c’est surtout reconnaître l’amour miséricordieux de Dieu. C’est ce que Thérèse nous dit quand elle se voit en petit jouet cabossé, livré aux mains du Christ, percé par Lui. Elle reconnaît ses limites, son indignité native, elle se livre tout entière à la puissance de la transcendance, au mystère d’amour et de charité qui nous dépasse et nous emporte. La petite voie de la petite Thérèse s’oppose à la grande voie de la grande Thérèse d’Avila. C’est un chemin qu’elle a découvert dans une cellule de briques, derrière les hauts murs du Carmel de Lisieux. En secret, comme dans un vertige, dans ce lieu où elle avait tant voulu entrer.

Sainte Thérèse est une sainte contemporaine. Sa vie, les grâces que nous recevons par son intermédiaire, sont-ils plus compréhensibles pour notre monde et ainsi plus évidente est notre prière ?

Par la puissance de son exemple, par son extraordinaire destinée, par la beauté contagieuse et la profondeur des écrits qu’elle a laissés, Thérèse est presque notre contemporaine. Dans un monde chaotique, désenchanté, livré au fanatisme et à la peur, malgré la nuit obscure qu’elle a traversée, Thérèse est une flamme, une figure lumineuse qui peut aujourd’hui encore éclairer nos pas. C’est pourquoi j’invite ceux qui la prient et qui l’admirent à faire le voyage de Lisieux, à découvrir le beau jardin des Buissonnets, à passer à la cathédrale, à méditer au Carmel et à la basilique. Une forme de proximité, vivante et infiniment respectueuse, s’établit ainsi, et nous pouvons confier nos appréhensions, nos vertiges mais aussi nos espérances à la petite Normande enfermée derrière les murs du Carmel, celle que le pape Pie XI appelait « l’étoile de son pontificat« . Oui, Thérèse de L’Enfant Jésus est une étoile qui ne pâlit pas.

Propos recueillis par Julien Serey

Publié dans Missio n°15 – avril 2017 (éditions Pays de France et Pays Picard)