«Le pape est bien reconnu ici comme le promoteur de la paix»

Masahiro Sato, directeur de l’Institut de recherche interculturel du sanctuaire Meijo. (crédit Eric Sitarz)

Sur le thème «Protéger toute la vie», du 23 au 26 novembre 2019, le pape François effectue un voyage apostolique au Japon, où le shintoïsme est la principale religion. Rencontre avec Masahiro Sato, directeur de l’Institut de recherche interculturel du sanctuaire Meijo.

Vous êtes l’un des responsables du Meiji Jingu, sanctuaire Meiji. Pouvez-vous nous présenter, en quelques mots, ce sanctuaire ? 

Masahiro Sato. Le sanctuaire a été établi en 1920, huit ans après le décès de l’empereur Meiji et six ans après celui de l’impératrice Shoken, son épouse. Le sanctuaire Meiji est dédié aux âmes divines de l’empereur Meiji et l’impératrice Shoken. Il est construit au milieu d’une forêt de 70 hectares qui est d’ailleurs artificielle. En effet, l’ensemble a été créé ex nihilo, sur un terrain vague, pour révérer le couple impérial Meiji, considéré comme un des «kami» (une divinité, NDLR), parmi de nombreuses divinités shintoïstes.

Un poème de l’empereur Meiji dit : « Révélons au monde la beauté qui s’entrelace au Japon.» L’empereur a joué un rôle important dans la modernisation du pays. Quel rapport ont les Japonais avec ce sanctuaire ?

Sur le plan historique, l’empereur Meiji a joué un rôle très important. C’est lui qui a posé les jalons du Japon moderne. Aussi, les Japonais ont beaucoup d’admiration pour lui et apprécient son règne. On voit ceci dans le fait que l’empereur Meiji et son épouse ont été élevés au rang de divinités, les kami, et qu’un grand nombre des Japonais a participé volontairement à la construction du sanctuaire.

Ce sanctuaire est lié à la famille impériale. Pouvez-vous nous expliquer les liens entre le shintoïsme et l’empereur Naruhito, nouvellement sacré ?

Selon la mythologie japonaise, la famille impériale remonte à Amaterasu, la déesse toute puissante et descend d’une lignée ininterrompue jusqu’à aujourd’hui, l’empereur Naruhito étant la 126e génération.

L’Institut de recherche interculturel que vous dirigez a pour objet de renforcer le dialogue interreligieux. Lors d’une conférence, en 2014, organisée par Sant’Egidio à Anvers, vous avez expliqué que le shintoïsme s’accordait avec les autres religions dans l’esprit des Japonais. Quelles sont aujourd’hui les relations entre le shintoïsme et l’Église catholique ?   

Bien que le shintoïsme n’a pas de doctrine détaillée, l’état idéal de l’esprit est exprimé par les mots «浄明正直» (prononcé «jyo-mei-sei-choku»), c’est-à-dire : «浄jyo», la pureté, «明mei», la joie, «正sei», l’honnêteté, et «直choku», la sincérité. Ce qui veut dire que nous devons cultiver ces vertus envers la divinité, envers soi-même et envers les autres. Ceci étant à la base de l’esprit japonais, nous préconisons tout naturellement l’harmonie et la paix.

Aujourd’hui, les relations entre le shintoïsme et l’Église catholique sont très bonnes puisque nous partageons des objectifs communs qui sont l’harmonie et la paix. Nous échangeons régulièrement nos souhaits pour la paix et la collaboration dans ce but. En 2015, nous avons reçu, au début de l’année, un message pour la paix du cardinal Jean-Louis Tauran, président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux. D’ailleurs, j’ai eu l’honneur de rencontrer le cardinal et discuter sur l’harmonie et la paix quelques années auparavant. Nous regrettons sa disparition, mais sa philosophie est transmise à ses successeurs.

Le pape François est du 23 au 26 novembre au Japon. C’est la deuxième visite d’un souverain pontife au Japon. Un rêve – enfin assouvi – du jésuite Jorge Bergoglio. Comment accueillez-vous cette visite ?

Je suis tout à fait certain que ce sera une grande réussite, puisque le pape est bien reconnu ici comme le promoteur de la paix qui nous est chère. Et l’Église catholique est une religion bien respectée parmi les Japonais. La preuve est qu’une grande partie de couples japonais se marient dans une église, même s’ils ne sont pas baptisés. Et de nombreuses écoles catholiques sont reconnues comme de bonnes écoles. Moi-même, je suis allé à une école marianiste appelée «Gyosei» (École de l’Étoile du matin) qui a été créée au Japon par des religieux catholiques alsaciens il y a plus d’un siècle.

Le pape François évoque le « patrimoine spirituel du Japon », héritage – pour lui – des martyrs japonais. Quelle est la place du spirituel dans la société japonaise ?

Pour beaucoup de Japonais, ce fut un fait historique, religieux certes, mais très politique en même temps. Le gouvernement Shogunal avait poursuivi une politique d’isolation du Japon pendant environ 250 ans, pour préserver sa structure sociale. Les dirigeants avaient certainement peur qu’une autre idéologie les empêche de maintenir leur hégémonie.

Le voyage du pape a pour thème principal la paix, notamment avec la rencontre au mémorial de la paix à Hiroshima. En 2014, vous avez participé à une rencontre sur ce sujet à Anvers. Vous avez constaté que le Japon n’avait pas connu de guerre depuis 75 ans. « Le Japon est très chanceux », avez-vous affirmé… Pourtant, vous craignez que les Japonais, mais aussi sans doute les pays en paix depuis longtemps, comme la France, perdent le sens de ce que sont réellement « les guerres » et les «conflits». Que voulez-vous dire ?

Au Japon, comme peut-être en France, les jeunes gens se passionnent, peut-être un peu trop, pour les jeux de guerre ou de conflit « virtuels », sur la télé comme sur les réseaux sociaux. Faute d’expérience réelle, je crains qu’ils confondent le vrai et le faux et qu’ils ne prennent pas la réalité au sérieux.  

Pour vous, le plus important est l’éducation à la paix. Comment pouvons-nous faire ? Arrivons-nous à vivre en harmonie ?

Pour que nos mémoires ne s’estompent pas, nous devons rappeler à chaque occasion l’atrocité de la guerre et de ses victimes. Mais, avant tout cela, nous devons apprendre aux enfants l’importance de la relation amicale entre les peuples. La bonne entente internationale est à la base de la paix dans le monde. Et, pour cela, il faut apprendre à connaître la culture des autres peuples et se respecter réciproquement.

Propos recueillis par Julien Serey

Publié dans Peuples du Monde n°486