La longue histoire missionnaire de l’Eglise de Luçon

Au Pays du Matin calme, le catholicisme fut introduit par des laïcs lettrés, pétris par l’écriture sainte. L’Eglise de Corée nous rappelle la force des origines de notre Eglise comme le souligne Mgr Alain Castet, évêque de Luçon, dont le diocèse est jumelé avec celui de Suwon.

Lors de votre nomination au siège épiscopal de Luçon que connaissiez-vous de la Corée du Sud ?

Mgr Alain Castet : Je ne suis pas un expert de l’Extrême-Orient. Mais comme beaucoup de Français, et de chrétiens sans doute aussi, qui s’intéressent à la vie de l’Eglise en Asie, je connaissais bien entendu le drame qu’a vécu ce pays au cours du XXe siècle et la vigueur de sa résurrection au lendemain de la grande épreuve de la guerre Nord-Sud des années 50. Ce qui était bouleversant, c’est cette résurrection qui fait passer un pays qui était au niveau de Madagascar je crois à un pays des plus dynamiques du monde. Ce qui veut dire une vigueur de la population non seulement sur le plan du travail, du courage et de la détermination, mais aussi d’une discipline de travail et d’une vraie réussite au plan technologique, industriel, informatique, etc. Un véritable miracle qui est dû au travail acharné des personnes. Je connaissais aussi le dynamisme de l’Eglise qui, pour être juste, est celui des communautés protestantes dans ce pays. Puis des bribes d’histoire et quelques noms comme celui de Park Chung-Hee sans être du tout spécialiste mais seulement quelqu’un qui s’intéresse.

En 2016, un groupe de pèlerins de Vendée et vous-même avez participé à un pèlerinage réunissant 6 évêques français et 60 prêtres ou laïcs à l’occasion du 150e anniversaire de la dernière grande vague de persécution (1866). Vous avez déclaré : « Nous avons reçu un accueil que nous n’aurions jamais pu imaginer. Dans l’Eglise de Corée, nous étions en famille ». Quels sont aujourd’hui les liens qui unissent l’Eglise de France et celle de Corée ?

J’ai participé à un pèlerinage national, présidé par le cardinal Ricard, dans lequel monseigneur Le Saux a joué un rôle déterminant dans l’organisation, puisque son diocèse connaît des jumelages mais aussi une présence de prêtres coréens depuis plus longtemps. Nous avons surtout avancé sur les pas des martyrs. L’Eglise de Corée a été fondée par les martyrs, d’abord à ses origines – à l’extrême fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle – par la curiosité de lettrés qui ont été bouleversés par l’Évangile du Christ. Très rapidement, les premiers prêtres, soit coréens soit européens, ont témoigné de la foi jusqu’au don de la vie, comme aussi des milliers de gens. Ce qui m’a frappé dans ce séjour, c’est que nous n’étions pas seulement dans l’informatif mais nous avons été en communion spirituelle avec des communautés chrétiennes vivantes qui nous accueillaient. Dans leurs paroles et dans leurs actes, elles témoignaient à la fois d’une communion de foi et d’une profonde reconnaissance. Les européens sont venus en sachant, qu’au plan humain tout simple, il n’y avait pas d’avenir. Ils savaient que le martyr était au bout de la route. Mais ils ont voulu être les témoins du Christ en aimant ce peuple et de cela l’Eglise catholique de Corée, que nous avons rencontrée, était profondément reconnaissante.

Les liens sont nombreux. D’ailleurs, ce sont les Coréens qui nous ont éveillés sur ces liens, puisqu’eux-mêmes sont très attachés à ces saints fondateurs, en Vendée saint Henri Dorie qui vient de Talmont Saint Hilaire sur la côte atlantique. Les Coréens connaissent parfaitement bien ces figures pour lesquelles ils ont créé chez eux des sanctuaires multiples, permettant aux gens de les découvrir, de les vénérer et de suivre leur exemple. Aussi, ils aiment se rendre en pèlerinage. Très souvent, nous avons des groupes qui viennent chez nous. En conséquence, nous avons vécu en retour une redécouverte de cette génération de martyrs. Depuis par des voyages, par des amitiés, par des liens – nous avons recréé des liens – je sais qu’ici et là se pense une éventuelle venue de missionnaires coréens en France.

Nous recevons de l’Eglise de Corée la vigueur de l’Eglise des premiers temps.

Mgr Le Saux, évêque du Mans, évoque l’étroitesse des liens entre les deux Eglises. Comment les faire découvrir davantage en France ?

J’ai été touché par la réception que nous avons eue par la Conférence des évêques de Corée. Ce sont des liens spirituels, d’une gratuité généreuse. A la fois, l’Eglise de Corée voit dans le témoignage de nos martyrs comme une source fondatrice. Nous recevons de l’Eglise de Corée la vigueur de l’Eglise des premiers temps : celle, qui a découvert dans le Christ, un sens, une lumière, une espérance et qui ne craint pas d’abord dans sa propre société puis par un élan missionnaire réel – puisque des congrégations missionnaires existent chez eux – à aller au-delà de leur propre pays pour être des témoins de cette lumière. Nous recevons d’eux la vigueur de la foi, la qualité du témoignage et, eux, nous perçoivent comme une source fondatrice.

Dans cet accueil, qu’est-ce qui vous a le plus marqué ?

L’immense générosité des personnes ! Le Coréen sait accueillir par le sourire, la générosité du don, la présence longue, la mobilisation des personnes c’est ça qui m’a profondément marqué. Nous ne sommes pas dans la rapidité occidentale. Bien que, paradoxalement, les Coréens sont extrêmement rapides dans leur mode de vie courante. Mais dans l’accueil, ils prennent le temps.

En 1866, 9000 catholiques ont perdu la vie lors de la vague de persécution en Corée du Sud. Vous avez été bouleversé par le sacrifice des martyrs de Corée qui vous interroge : « une vraie question nous est posée par l’histoire des martyrs de Corée : voulons-nous aussi voir Dieu ? La Vie éternelle est-elle notre bien le plus précieux ? » Pouvez-vous développer ?

Ce qui est extraordinaire pour eux dans les origines du christianisme, qui existe toujours mais un peu amorti au profit d’un simple relationnel ou d’un être ensemble, ce qui a motivé les chrétiens à devenir chrétien c’est l’immense espérance de la vie éternelle, que la mort n’avait pas le dernier mot. C’est le désir de voir Dieu comme disait le père Marie-Eugène de Venasque. en effet, en 1866 la nouveauté de l’Évangile, les catholiques ont été au martyr avec courage non pas qu’ils aient été bouleversés devant la mort. L’humanité n’est pas dissoute parce qu’on a la foi. Mais, ils ont été au martyr dans l’espérance qu’au lendemain de la mort, ils verraient Dieu. Ce n’est pas une foi amortie ou édulcorée. C’est une foi vivante qui nous fait revivre ce qu’ont vécu les premières générations chrétiennes alors bien sûr ce n’est pas notre contexte à nous. Je posais cette question : quel est le coeur de notre foi ? Nous aussi voulons-nous voir Dieu ? La vie éternelle est-elle le bien le plus précieux ? Substantiellement le but de la vie chrétienne est d’obtenir la vie éternelle, même si la formule n’est pas heureuse, c’est-à-dire voir Dieu et vivre en sa présence.

Pendant ce pèlerinage, son éminence le cardinal Ricard a comparé les débuts tragiques du christianisme en Corée aux Actes des Apôtres. Qu’avons-nous à apprendre de cette jeune Eglise ?

Oui, on peut le dire, à la fois par le martyr mais aussi par une foi qui se transmet par un témoignage de proximité, de voisinage en voisinage, au sein de familles, par la cohérence entre ce que j’affirme dans la foi et ce que je vis. Là aussi, comme on le voit en Actes 2, une foi qui veut faire vivre à la manière du Christ. C’est ce que la première génération de chrétiens coréens a essayé de vivre, comme l’ont vécu les premiers témoins des Actes, dont nous avons le témoignage à chaque page du livre des Actes des apôtres. Eux-mêmes se retrouvent confrontés au défi du monde moderne, surtout que c’est le 13e pays du monde en PIB (en 2008).

Ils ont aussi à apprendre de nous. Tout échange est réciproque. Cela n’existe pas un qui donne à l’autre sans recevoir. Toute évangélisation est rencontre, me semble-t-il. Mais nous pouvons apprendre d’eux ce dynamisme de la mission, de ne pas avoir peur, d’y aller, dire, proposer comme le disait le pape Benoît XVI, sans être quelqu’un qui impose de manière artificielle, mais quelqu’un qui propose  par une cohérence de vie et explicitement, dans leur liberté, les hommes puissent découvrir le Christ. Cela, ils n’en ont pas peur ! Des actes missionnaires, ils en vivent fréquemment dans les paroisses, dans les diocèses. Nous avons à le recevoir d’eux, même si chez  nous cela n’est pas absent. Eux, ils ont peut-être à recevoir de nous la maturité que l’on acquiert dans la longueur de vie, ils ont aussi le témoignage de ceux qui ont été les grands saints, qui leur appartiennent même s’ils ne font pas partie de leur histoire et qui sont structurels. Nous pouvons aussi partager comment on vit la foi dans la modernité.

Depuis 1984, l’Eglise de Corée édifie des lieux de souvenir et organise des pèlerinages sur les lieux des martyres…

Ces lieux de pèlerinages sont extraordinaires et très fréquentés. C’est une église généreuse, c’est-à-dire que nous faisons des campagnes du denier du culte où les gens donnent le reliquat de ce qu’ils peuvent donner. Là-bas, c’est comme dans les Actes, cela veut dire qu’être chrétien c’est participer à la vie de l’Eglise. C’est un engagement financier ! l’Eglise, tout en n’étant pas subventionnée, a les moyens de sa mission. Elle a donc de magnifiques sanctuaires. Mais ce ne sont pas que des bâtiments uniquement, ce sont des sanctuaires vivants avec une grosse présence de célébrations, de réflexions de gens qui viennent. Ce sont des sanctuaires vivants ! Remarquez que ce n’est pas non plus absent chez nous ! Dans les difficultés que nous rencontrons souvent dans notre pays, les sanctuaires sont des lieux de ressourcement. Pour l’écrasante majorité d’entre eux, même dans notre pays, les sanctuaires sont es lieux très vivants, voire en développement. Ce n’est pas uniquement là-bas. Je pense que c’est un phénomène d’Eglise. Dans les difficultés, la réalité des sanctuaires qui accueille tout homme par-delà une adhésion forte est certainement une réalité de l’Eglise catholique qui demeure essentielle.

Le diocèse de Luçon célèbre cette année les 700 ans de sa fondation. Vous avez reçu en juillet un groupe de pèlerins coréens. Comment voyez-vous se développer les liens entre votre diocèse et celui de Suwon (où le père Dorie, originaire de Vendée, a vécu son martyre)?

Nous avons déjà des liens épistolaires, de personnes à personnes, de familles à familles. L’évêque de Suwon dans le cadre de notre septième centenaire nous a envoyé un message très chaleureux. Nous réfléchissons, mais nous prenons notre temps, pour savoir comment des prêtres coréens pourraient vivre une présence chez nous.

Les catholiques représentent 13% des 50 millions de Sud-Coréens (les protestants 20%). En 2008, la conférence des évêques de Corée a adopté un ambitieux plan pastoral (Twenty twenty) qui prévoit une croissance de 20% de catholiques d’ici 2020. A l’occasion de ce jubilé, que pouvez-vous retenir de ce dynamisme missionnaire pour la Vendée. Que cela nous dit de la foi aujourd’hui?

Dans les paroisses, comme le diraient les charismatiques de l’Emmanuel, ils sont dans une dynamique de croissance. Ca fait partie de leur culture. Nous n’avons pas la même culture mais quand même cela nous amène à nous interroger si nous gérons un monde qui meurt, en enlevant un rang de chaises chaque année, ou est-ce que nous pensons que ce que nous portons dans des vases d’argile a du sens pour tous et que nous espérons que le plus grand nombre de gens en vive et en bénéficie.

Dans sa longue histoire missionnaire, que peut encore apporter l’Eglise de Luçon, notamment à la Corée ?

Notre thème pour le septième centenaire, qui se termine, est « fidélité de Dieu, espérance des hommes ». Par delà les épreuves, Dieu est fidèle. Si un jour, l’Eglise de Corée se trouvant devant des difficultés ou en déflation, nous pouvons, nous vieux chrétiens, dire que Dieu est fidèle et même après des temps de difficultés, il peut ouvrir des chemins inattendus qu’au simple regard humain nous ne pouvions pas voir.

Peuples du Monde n°479, octobre-novembre-décembre 2017