Se demander comment se porte l’Eglise universelle, c’est s’interroger sur la pratique de l’évangélisation. Si les chiffres donnent un bon panorama de l’Eglise dans le monde, ils masquent une réalité différente d’un continent à l’autre.
«Dès l’origine, l’Evangile commande l’évangélisation », rappelait le théologien Jean-François Colosimo dans un entretien au Figaro en octobre dernier. « Première religion à s’être affirmée comme universelle, le christianisme a connu un mouvement d’expansion continu qui se confond avec l’unification du monde dont il a été le principal vecteur culturel. » Où en est-il aujourd’hui ? Dans l’édition 2013 de l’Annuaire pontifical, le nombre de catholiques est de 1 214 millions en 2011 – année de référence de la dernière enquête. Il était de 1 196 millions en 2010. Les catholiques représentent ainsi 17,5% de la population mondiale. Depuis 2012, dix-sept nouveaux diocèses ont été érigés dans le monde.
« Oui, l’Eglise est vivante ! », s’exclamait le cardinal Antonio Luis Tagle lors du synode de la nouvelle évangélisation. « Je sais bien qu’il y a une baisse de la pratique des catholiques dans certains pays, que l’influence décroît, et que le christianisme est porté par une minorité, ajoutait l’archevêque de Manille. En Asie, être une minorité est une réalité depuis toujours. Et que faites-vous dans ce cas-là ? Eh bien, vous croissez, vous exprimez votre joie, vous témoignez de votre foi. » Les chiffres masquent en effet des réalités différentes d’un continent à l’autre.
L’Amérique : premier continent catholique
En Amérique latine, le catholicisme reste une référence et rassemble 425 millions d’individus, soit 40% du nombre de catholiques dans le monde. L’Eglise y est un rempart à la violence. Le 19 mai 2014, le pape François a d’ailleurs interpellé les évêques mexicains : « Les violences qui affligent la société mexicaine, les jeunes en particulier, poussent à relancer la culture de la concorde, du dialogue et de la paix. Les évêques n’ont pas à avancer des solutions politiques mais à faire des propositions pastorales en annonçant à tous la Bonne Nouvelle, celle d’un Dieu miséricordieux qui s’est fait homme, pauvre et souffrant pour notre salut. » Lors de son passage à Rome en avril 2013, le président de l’Equateur a pu saluer l’importance de la participation de l’Eglise dans la vie nationale.
À Cuba, l’important travail de dialogue du cardinal Ortega avec les frères Castro a permis la libération de prisonniers et des réformes économiques majeures. Pourtant, l’influence des Eglises évangélistes et pentecôtistes ne cesse de croître. En 1970, la population était à 92% catholique et 4% protestante. En 2014, selon une étude de l’institut Pew Research, les premiers ne sont plus que 69% et les seconds, 19%. Une des raisons de la progression du protestantisme : le prosélytisme. Selon cette enquête, « plus de la moitié des convertis (58%) disent ainsi que c’est leur nouvelle Eglise qui a fait les premiers pas en leur direction. » C’est pourquoi, le pape François lors de sa rencontre avec la CELAM (conférence de l’épiscopat latino-américain), en juillet 2013, a rappelé l’importance d’être missionnaire : « Ce qui porte à changer les cœurs des chrétiens, c’est précisément le fait d’être missionnaire ».
En Amérique du Nord, l’Église connaît un essoufflement, notamment au Québec, plus ancienne fondation catholique nord-américaine. Lorsque Mgr Gérald Cyprien Lacroix, cardinal-archevêque de Québec, a rencontré le pape François, ce dernier l’a exhorté à se souvenir que « le Québec a connu de très grands missionnaires au cours de son histoire. Il faut relever le Québec ! »
Le sociologue québécois Robert Mayer identifie la situation à une séparation de l’Eglise et de l’Etat. En 1965, 85% de la population québécoise avait une pratique régulière. Ils n’étaient plus que 35% en 1990. Pourtant, un vent nouveau souffle sur la Belle Province. Le cardinal Marc Ouellet, archevêque de Québec de 2002 à 2010, et son successeur, le cardinal Lacroix, ont oeuvré pour la formation, pilier de l’esprit missionnaire. Les premiers fruits commencent à être cueillis : en 2013, 400 demandes de confirmation ont été enregistrées, contre 20 en 1990.
Evangéliser l’âme de l’Europe
« Fille aînée de l’Eglise, qu’as-tu fait des promesses de ton baptême ? » La phrase de Jean-Paul II à la France pourrait tout aussi bien s’adresser à l’Europe où la situation des catholiques est très inégale. A l’ouest, touchée par le vieillissement de son clergé, l’Eglise connaît une lente décroissance, même si le nombre de baptêmes est plutôt stable en France et en Italie et qu’il est en progression en Espagne. Les catholiques sont 261,6 millions – soit 35,2% de la population européenne – ce qui représente 23,9% des catholiques dans le monde. Les quatre pays qui comptent le plus de catholiques sont le Portugal (92,3%), la Pologne (92,2%), l’Italie (83%) et l’Espagne (75,2%). Malgré ces chiffres, l’Europe est touchée par la crise des vocations. En 10 ans, l’Italie est passée de 500 à 400 ordinations par an.
Et si l’avenir de l’Eglise européenne passait par l’Est? Lors des visites ad limina des évêques de Bulgarie et de République tchèque en février 2014, le Saint-Père a souligné la vivacité et l’élan missionnaire des communautés encore minoritaires dans des pays fortement marqués par « le vide spirituel laissé par l’athéisme et des modèles culturels matérialistes ».
La Pologne ne connaît pas la crise des vocations. Chaque année, 2300 polonais entrent au séminaire, soit autant que le Canada et les Etats-Unis réunis. 500 séminaristes sont ordonnés chaque année, cinq fois plus qu’en France ! Tant et si bien que lors de sa rencontre avec le clergé polonais, en novembre 2006, Benoît XVI invitait les prêtres et religieux à quitter la Pologne pour réévangéliser la vieille Europe : « Prêtres polonais, n’ayez pas peur de quitter votre monde sûr et connu, pour servir là où les prêtres manquent et où votre générosité peut porter des fruits abondants. »
En Amérique latine, le catholicisme reste une référence et rassemble 425 millions d’individus, soit 40% du nombre de catholiques dans le monde.
L’Afrique, une terre de défis
En 100 ans, les catholiques africains sont passés de 1% de la population catholique mondiale (environ 1 million) à 16,1%. Ils sont aujourd’hui 181,5 millions soit 21% de la population du continent. Benoît XVI invitait l’Afrique à contribuer à la nouvelle évangélisation dans le monde entier. Les religieux africains sont d’ailleurs un apport essentiel pour les diocèses européens, notamment en France.
La République démocratique du Congo est l’un des pays les plus catholiques au monde. En 10 ans, le nombre de prêtre y a progressé de 39,5%, avec une augmentation de plus de 3000 prêtres rien qu’en 2011 ! Mais le tableau est loin d’être idyllique. L’Eglise africaine doit faire face à la montée en puissance des évangélistes et des pentecôtistes. Pour de nombreux Africains, l’Eglise catholique est trop intellectuelle. Les jeunes, urbains et de classe moyenne, sont attirés par ces nouvelles Eglises qui proposent un rite plus vivant et attrayant. Le catholicisme a cependant toujours un rôle important à jouer. Face aux guerres civiles, aux dictatures, à l’injustice et à la pauvreté, les évêques africains demeurent un rempart contre la violence et participent à la défense de l’Etat de droit. Comme au Zimbabwe où les évêques agissent pour l’unité et la réconciliation, ou comme en Guinée où le cardinal Sarah a pu le démontrer en son temps.
L’Asie : témoin de notre foi
Saint Jean-Paul II avait affirmé que le troisième millénaire serait celui de l’Asie. Le continent représente 60% de la population mondiale, mais les catholiques y restent minoritaires. Ils sont environ 133 millions, 10,9% de la population catholique mondiale. Malgré ces chiffres, les catholiques d’Asie sont les plus dynamiques et de plus en plus nombreux.
Face à la pauvreté, les injustices, les catastrophes naturelles à répétition, la foi offre aux Asiatiques une espérance qui donne un sens à la souffrance. L’Eglise pèse par la nature de son message. Dans un entretien du Figaro en mars 2012, Régis Arnoul, rédacteur en chef d’Eglises d’Asie, soulignait : « A la différence de l’Europe où il est en crise, le christianisme en Asie interpelle parce qu’il est associé aux valeurs de modernité, de démocratie et de liberté, alors que le bouddhisme, l’hindouisme et le confucianisme apparaissent moins en prise avec la réalité. » Ainsi, l’action du cardinal Sin aux Philippines a été déterminante pour faire basculer le régime du président Marcos, lutter contre la dictature et accompagner la démocratisation.
Les catholiques asiatiques sont animés par une foi qui témoigne de la joie de l’Évangile. Dans un récent entretien pour la chaîne KTO, le cardinal Luis Antonio Tagle explique sa vision de cette réussite de l’évangélisation. Le nombre de catholiques est petit mais davantage de fidèles sont prêts à mourir pour la foi. « Leur sang est l’eau qui permet aux graines de la foi de toutes les générations de grandir. C’est un témoignage de la profondeur de l’évangélisation. » L’Asie est un continent où l’on vit encore le martyre de la foi. Sur la liste noire des dix pays où les chrétiens sont persécutés, neuf sont asiatiques. 1201 chrétiens ont été assassinés en 2012, 2123 en 2013. Dans un entretien au journal Missio clermontois, Mgr Pascal Gollnisch, directeur général d’œuvre d’Orient, soulignait ainsi que les chrétiens d’Orient « nous aident à nous rappeler que le christianisme n’est pas une religion européenne, ni même occidentale, mais asiatique. » La première expérience d’évangélisation, le Christ mort sur la Croix, n’a-t-elle pas eu lieu en Asie?
Publié dans Politique Magazine n° 136 – janvier 2015