Depuis le 20 octobre dernier, le diocèse de Séez (Orne) est jumelé avec celui de Mbuji-Mayi (République démocratique du Congo). Ce jumelage est l’aboutissement d’une présence ancienne de prêtres Fidei Donum en terre normande.
Dimanche 20 octobre, vous avez célébré les dix ans du premier prêtre Fidei Donum dans le diocèse de Séez. Vous accueillez deux prêtres du diocèse de Mbuji-Mayi. Cette présence est-elle à l’origine de ce jumelage ?
Mgr Jacques Habert. C’est en effet à l’occasion du 10e anniversaire de l’arrivée du premier prêtre Fidei Donum sur le diocèse que la question d’un jumelage s’est posée. La présence de ces deux prêtres de Mbuji-Mayi n’a donc pas déclenché le processus du jumelage, il était dans les esprits depuis des années. En revanche, dans le choix du diocèse avec lequel nous allons nous jumeler, leur présence a été importante.
Pourquoi est-il important d’accueillir des prêtres Fidei Donum dans nos diocèses ?
La présence des prêtres Fidei Donum dans un diocèse est à la fois nécessaire et bienfaisante. Elle est nécessaire, car nous manquons de prêtres en France et ces prêtres nous apportent un réel soutien pour assurer la mission. C’était vraiment l’intuition du pape Pie XII lorsqu’il a donné à l’Eglise l’encyclique Fidei Donum en 1957. Ce don se fait maintenant dans l’autre sens, de l’Afrique vers l’Europe. C’est aussi une présence bienfaisante, ces prêtres nous donnent de mieux comprendre la catholicité de l’Eglise, ils nous apportent la joie et la jeunesse de leurs Eglises particulières.
Vous avez rendu visite au diocèse de Mbuji-Mayi pendant l’été 2019. A la demande de Mgr Kasanda, vous avez ordonné onze prêtres. Qu’avez-vous ressenti lors de cette célébration ?
Sans doute dans mon ministère d’évêque, je n’aurais jamais plus l’occasion de vivre une telle célébration ; j’en avais bien conscience. Ce fut de la part de Mgr Bernard-Emmanuel une marque de confiance et de communion. De mon côté, ce fut une grande joie et aussi une responsabilité que de prêcher à ces onze jeunes prêtres le jour de leur ordination. J’ai aussi été frappé par la ferveur de la foule dans et à l’extérieure de la cathédrale.
Ces vocations de ces jeunes Eglises (dans tous les sens du terme) peuvent-elles aider les Eglises plus anciennes comme celle de Séez ?
Oui, elles nous redisent, si nous risquions de l’oublier, que Dieu appelle généreusement. Elles nous redisent aussi que c’est dans le terreau d’une pastorale d’ensemble que naissent les vocations.
Lors de ce voyage, vous avez découvert le diocèse de Mbuji-Mayi. Que pouvez-vous nous en dire ?
Il y a d’une part le contexte politique, social d’un pays : fragile, abîmé, par bien des aspects, désolant… et il y a le diocèse. C’est un diocèse dynamique, vivant. Le plus marquant est la place que cette Eglise tient dans la bonne marche de la société. On sent qu’il y a un lien indissociable entre le développement du diocèse et celui de la région. C’est une Eglise en prise avec le réel, elle veut se mettre au service d’un développement intégral. Elle rejoint par bien des aspects l’encyclique du pape François « Laudato Si' ».
Nos deux diocèses sont très différents, les comparaisons ne sont dès lors pas possibles. La jeune Eglise peut apporter sa fougue, sa ferveur, sa joie. La « vieille Eglise » peut apporter son expérience, sa sagesse.
Mgr Bernard Emmanuel Kasanda, évêque de Mbuji-Mayi, était prêtre étudiant dans le diocèse de Créteil, où vous étiez prêtre. Vous vous connaissez donc depuis de nombreuses années. Vous insistez d’ailleurs – pour la vie du jumelage – sur la relation d’évêque à évêque. Pouvez-vous nous en dire davantage ?
Nous nous sommes connus il y a à peu près vingt-cinq ans, lui, jeune prêtre étudiant à Paris en résidence à Cachan et moi, jeune prêtre dans le Val-de-Marne. Une amitié est née et puis chacun a vécu son ministère. Il se trouve que nous sommes devenus évêques l’un et l’autre. Dans la décision du jumelage et dans le choix du diocèse, cet élément a compté, il n’est pas pour autant déterminant. Ce jumelage nous redit l’apostolicité de l’Eglise, les diocèses (Eglises particulières) sont remis à la responsabilité des évêques qui sont leurs pasteurs propres.
Qu’attendez-vous de ce jumelage ?
J’en attends une aide mutuelle, j’en attends un surcroît de catholicité. Nos deux diocèses sont très différents, les comparaisons ne sont dès lors pas possibles. La jeune Eglise peut apporter sa fougue, sa ferveur, sa joie. La « vieille Eglise » peut apporter son expérience, sa sagesse. Les échanges se vivront aussi dans des domaines profanes comme l’éducation, la santé, l’agriculture, le monde des jeunes. Bien des perspectives peuvent s’ouvrir !
Dans la célébration du dimanche 20 octobre, vous avez mélangé les eaux de la rivière Mbuji-Mayi et de la fontaine Saint-Latuin. Que signifiait ce geste ?
L’idée de l’eau est venue du vicaire général, le père Philippe Pottier. L’eau est un élément essentiel dans la vie de l’humanité, on sait son importance en Afrique. L’eau est aussi pour les chrétiens le signe du baptême. Il y avait là une belle symbolique que la liturgie a bien mise en valeur : mélanger l’eau de la fontaine qui, selon la tradition, servait pour les baptêmes conférés par saint Latuin, premier évêque de Séez, avec celle du fleuve par lequel le christianisme est arrivé au Congo…
Comment concrètement allez-vous faire vivre ce jumelage ?
Dans nos deux diocèses, des comités de jumelage vont se constituer. Ils seront la pierre angulaire de l’organisation et des échanges. L’idée d’une progressivité et d’un travail sur des dossiers précis sera le fil conducteur de ce jumelage.
Que pouvez-vous apporter à cette Eglise ?
Des quelques rencontres avec eux, j’ai senti qu’ils voulaient vivre avec modestie le développement exceptionnel qu’ils connaissent aujourd’hui. Ils disent parfois : nous vivons ce que vous avez pu connaître il y a quelques décennies. Cela les rend humbles et les empêche de penser que ce succès visible serait le résultat d’une recette infaillible en matière d’évangélisation.
Nous pouvons aussi positivement leur apporter notre expérience, notre tradition. La terre de Séez a vu grandir bien des figures de sainteté, là est la vraie tradition de l’Eglise. Le fait d’avoir donné à Mgr Bernard-Emmanuel des reliques de Louis et Zélie Martin fut un signe d’une grande portée.
Pensez-vous que l’Eglise de Mbuji-Mayi pourrait dynamiser l’élan missionnaire dans votre diocèse ?
Je l’espère et il me semble que la visite vécue dans le diocèse en octobre a déjà porté du fruit. Pour les chrétiens en Afrique, la distinction que nous vivons parfois entre le profane et le religieux est bien souvent abolie. Cette façon de vivre la foi dans l’ordinaire de toutes les activités peut nous relancer dans une perspective missionnaire.
Quel est le prochain rendez-vous ?
C’est vraiment aux deux comités d’avancer sur le chemin d’une construction progressive. Il n’est pas impossible que, dès le mois de juillet 2020, des personnes du diocèse aillent à Mbuji-Mayi. Il ne faut pas tomber dans la précipitation, mais avancer avec des objectifs précis et repérables.
Propos recueillis par Julien Serey
Peuples du Monde 486