Cardinal Tauran, apôtre du dialogue

Le 5 juillet 2018, le Cardinal français Jean-Louis Tauran est décédé aux Etats-Unis où il séjournait depuis quelques jours. Trois papes successifs lui ont confié des missions délicates. En 2013, il avait annoncé au monde l’élection du Pape François.

« Le Cardinal JeanLouis Tauran que je confie à la miséricorde de Dieu a profondément marqué la vie de l’Eglise universelle « , écrit le Pape François dans un télégramme adressé à Geneviève Dubert, la soeur du Cardinal. Né le 5 avril 1943 à Bordeaux, il est ordonné prêtre le 20 septembre 1969. Ce canoniste (il est titulaire d’un doctorat en droit canon) débute son ministère comme vicaire de la paroisse Sainte Eulalie de Bordeaux (1970-1975).

Au service de la diplomatie

Ancien élève de l’Académie pontificale ecclésiastique de Rome, il entre au service de la diplomatie du Saint-Siège en 1975 comme secrétaire de nonciature en République dominicaine. Cinq années plus tard, il rejoint le Liban comme auditeur à la nonciature. Jean-Paul II lui demande de rejoindre le Conseil pour les affaires publiques à Rome. En 1991, le pape polonais le consacre évêque et le nomme secrétaire pour les relations du Saint-Siège avec les Etats, c’est-à-dire ministre des affaires étrangères. Unanimement reconnu pour son humilité et pour ses talents de diplomates, il reste treize ans en poste.

Au service de l’Eglise : un homme de dialogue

En 2003, Jean-Paul II le nomme archiviste et bibliothécaire. Il est alors créé cardinal. Benoît XVI désire « redonner toute sa place au dialogue interreligieux, et notamment au dialogue avec l’islam. » comme le souligne Mgr Aveline, évêque auxiliaire de Marseille et président du Conseil pour les relations interreligieuses à la Conférence des Evêques de France. Le pape choisit, bien que déjà atteint par la maladie de Parkinson, un cardinal reconnu pour son sens de l’écoute et sa connaissance des arcanes de la diplomatie. Comme le fait remarquer Mgr Aveline au journal La Croix : « Les relations interreligieuses autour du bassin méditerranéen sont devenues très liées aux questions de politique internationale. Il fallait quelqu’un capable de déchiffrer ces enjeux derrière les bonnes intentions de dialogue, capable de repérer ce qui peut être promu, saisi du point de vue des relations interreligieuses. » Dans son message de condoléance, le Pape François reconnaît sa compétence : « Il fut un conseiller écouté et apprécié en particulier grâce aux relations de confiance et d’estime qu’il a su nouer avec le monde musulman. » En 2008, il avait organisé le premier sommet catholique-musulman à Rome, oeuvré pour le rapprochement avec l’université Al-Azar et effectué en avril 2018 un voyage en Arabie saoudite, le premier d’un prélat romain, où il a plaisé la cause des chrétiens. Dans ce pays, ces derniers manquent de lieux pour prier. Cependant, le monde musulman n’était pas sa seule préoccupation. L’Asie aussi l’intéressait, notamment mais pas seulement le bouddhisme. En novembre 2017, il participait au 6e colloque bouddhiste-chrétien à Taïwan.

Apôtre de la main tendue, il n’était pas dupe des postures diplomatiques. Néanmoins, il laissait toujours la porte ouverte au dialogue et refusait la politique de la chaise vide. Jusqu’au bout et avec courage, il participait aux conférences internationales : « il faut y être d’abord parce que nous pouvons y dire ce que nous voulons et que d’autres ne peuvent pas. Ensuite, pour écouter chacun le prendre au mot et pouvoir lui demander ensuite, le cas échéant pourquoi ses paroles ne se sont pas traduites en actes« , rapporte Mgr Aveline.

Benoît XVI le nomme cardinal protodiacre en 2011. A ce titre, il lui revient en 2013 de prononcer la célèbre formule : « Habemus papam ». Le pape François « en raison de son sens du service et de son amour pour l’Eglise » l’avait fait carmerlingue, c’est-à-dire qu’en cas de vacances du siège apostolique il était chargé de gérer les affaires du Saint-Siège.

Après une vie si remplie, le cardinal Tauran avait acquis une conviction profonde : l’avenir du monde passait par l’école et l’université. Dans son livre, je crois en l’homme aux éditions Bayard, il s’interrogeait de la manière suivante : « Nous avons reçu deux cadeaux de Dieu : une intelligence pour comprendre et un coeur pour aimer. Que faisons-nous de ces deux cadeaux ? » car il en était convaincu « avec le coeur et l’intelligence, on peut sauver le monde ».

« Je garde le souvenir ému de cet homme à la foi profonde qui a servi courageusement jusqu’au bout l’Eglise du Christ malgré le poids de la maladie.« , conclut le pape François.

Paru dans Peuples du Monde, n°482, Juillet-Août-Septembre 2018