Réhabiliter la colère ?

La colère est une émotion fondamentale aussi vieille que le monde. Homère ouvre l’Illiade sur le mot « colère ». Pourtant la colère est-elle une émotion comme une autre ? Existe-t-il une colère saine pour ne pas dire sainte ?

« J’en ai marre de cette galère. Je n’aurais pas dû faire ces études-là! » Achille est un jeune homme de 27 ans, sans emploi malgré son bac+5. Il en veut à ses professeurs qui lui ont fait croire à une vie sans difficulté. « Ils n’ont pas cessé de nous répéter que plusieurs entreprises se battraient pour nous employer. » A la sortie, personne n’est venu le chercher. Pourtant, il n’était pas un mauvais élément, au contraire. Le sentiment qui l’anime à ce moment-là : la colère.

Existe-t-il une bonne colère ?

Soyons honnêtes, nous avons tous ressenti à un moment de notre vie cette émotion, parfois pour de bonnes raisons et souvent pour de mauvaises. Ne pas laisser exploser sa colère n’est pas bon pour notre santé. Au contraire, la colère est inutile et autodestructrice quand elle n’est pas exprimée. D’ailleurs, il en existe plusieurs : la blanche (celle que l’on retient) et la rouge (l’emportement) ou, pour reprendre la distinction de Descartes, la colère des bons, qui s’apaise rapidement, et celle des orgueilleux, qui conduit à des excès.

Au départ, la colère est noble. C’est un privilège des princes : la représentation de l’outragé dans l’Antiquité. Au fur et à mesure, elle devient moins acceptable comme une maladie, celle du dominé, un péché, celle du possédé. Mais aujourd’hui ? La colère est devenue un geste politique. Dans son livre, Les raisons de la colère aux éditions Grasset, Roland Cayrol, sondeur médiatique, analyse l’abstention comme l’expression d’une colère. Les dernières élections législatives en sont un parfait exemple. Nous avons tous dans notre entourage une personne qui n’a pas voté, voire nous-mêmes. Pourquoi autant de gens se désintéressent, non pas de la politique, mais du vote ? Pour Roland Cayrol : « L’image du politique est repartie à la baisse. Les Français s’en veulent d’y avoir cru. Et ils en veulent aux politiques qui leur avaient fait miroiter un vrai changement.« 

Insurgez-vous ?

Peut-on vivre toute sa vie dans la colère, dans le rejet du politique ? Pour le philosophe René Girard, l’alternative est simple : « Ou bien nous nous aimons les uns les autres, ou bien nous mourrons tous de notre violence exacerbée. » De nos jours les réseaux sociaux sont centraux dans la révolte. Internet devient le foyer de la colère. La contestation devient planétaire, féroce mais amène-t-elle du changement dans nos vies ? Nos sociétés sont touchées par une crise de légitimité politique. Pour le père Pedro (1), il est temps de s’insurger car dans le mot « insurrection » il y a le mot « résurrection ».

Attention, il ne s’agit pas de reprendre la Bastille et de couper la tête des rois, mais d’utiliser les armes du coeur : celles de l’amour et du pardon. Il faut canaliser cette émotion colérique pour en produire du fruit, comme Martine qui offre de son temps de retraitée pour aider ses voisines à récupérer leurs enfants à la sortie de l’école ; de toutes ces personnes qui dans l’Oise aussi bien à Creil, Chantilly, Compiègne, Senlis, Clermont, Beauvais… accueillent des réfugiés syriens et les accompagnent dans les multiples démarches ; comme Charlotte qui sauve les fruits et légumes retoqués tout en proposant un chemin de réinsertion ; les paroisses qui ouvrent des tables chaque semaine… Aucun doute, vous pouvez multiplier les exemples.

Méfions-nous de la colère, il ne faudrait pas qu’elle nous rende indifférent aux autres. Au contraire, elle doit réveiller nos consciences.

(1) Père Pedro et Pierre Lunel, Insurgez-vous ! Editions du Rocher

Publié dans Missio n°17 – septembre 2017