« Commémorer, c’est faire mémoire… ce n’est pas glorifier »

Trois questions à Yves Bruley, historien, directeur de France Mémoire

Pourquoi l’Institut de France a-t-il créé France Mémoire ?

Afin de sortir des polémiques récurrentes, le gouvernement et l’Institut de France sont tombés d’accord, à la fin de 2020, pour que les commémorations nationales soient désormais une mission de l’Institut et des cinq académies. Le chancelier de l’Institut, Xavier Darcos, a donc créé ce service, nommé France Mémoire. Il m’a demandé de le diriger dans l’esprit d’indépendance de l’Institut, mais aussi de l’Ecole pratique des hautes études (EPHE), où j’enseigne, et où nous pratiquons une histoire peu sensible aux idéologies et aux modes, visant d’abord à établir des faits.

Quelles sont ses missions ?

Concrètement, France Mémoire établit chaque année un calendrier d’anniversaires : cinquantenaires, centenaires et leurs multiples. Pour chaque date, nous réalisons sur notre site Internet un dossier historique, avec des articles, des documents, des conseils pédagogiques et des interviews sur la radio Canal Académies. Nous faisons toujours appel à des spécialistes, en ouvrant le débat si nécessaire. Nous organisons des événements nationaux à l’Institut dans certains cas : Napoléon, La Fontaine ou Flaubert en 2021.

Quelle définition donneriez-vous au mot « commémoration »?

Tout le monde n’est pas d’accord sur le sens du mot, et certains pensent qu’une commémoration impose forcément une lecture unique et officielle de l’histoire. Ce n’est pas notre avis. En démocratie, la diversité des points de vue fait partie intégrante de la mémoire nationale. Encore faut-il savoir de quoi on parle ! La mémoire a besoin de l’histoire. Commémorer, c’est faire mémoire de personnalités ou d’événements du passé, heureux ou malheureux, en profitant des anniversaires pour étudier et faire connaître les faits historiques. Commémorer n’est pas glorifier : la coupole de l’Institut n’est pas celle du Panthéon, et c’est pour cela que France Mémoire et vraiment à sa place à l’Institut de France.

Propos recueillis par Julien Serey

France Mémoire

France Mémoire a été créé en 2021 par l’Institut de France en remplacement de l’ancien service des Commémorations nationales qui dépendait du ministère de la Culture. En effet, plusieurs crises avaient révélé l’inconvénient de maintenir une mission aussi sensible sous l’autorité directe du gouvernement. A deux reprises, en 2011 et en 2018, le ministre avait annulé tout le travail préparé par les historiens. Aujourd’hui placées, si l’on peut dire, « à l’abri » de la coupole du quai Conti, les commémorations échappent désormais aux aléas de la politique. Bien sûr, l’Etat continue d’avoir sa propre politique mémorielle, ce qui est légitime. Mais l’Institut étant indépendant, les Français ne peuvent plus craindre que le pouvoir politique leur dicte une histoire officielle par le biais des commémorations. Ainsi, France Mémoire a pour mission, au niveau national, d’attirer l’attention sur les grands anniversaires de l’histoire de France et de diffuser largement des connaissances historiques.

Publié dans Missio n°33 – septembre 2021