De Beauvais à Sokodé : une histoire d’amitiés à la gestation d’un partenariat

En septembre 2017, l’évêque de Sokodé (Togo), Mgr Célestin-Marie Gaoua, était accueilli par l’évêque de Beauvais (Oise), Mgr Jacques Benoit-Gonnin. Si leurs vicaires généraux sont amis, les deux évêques devaient s’apprivoiser, se rencontrer afin d’établir une feuille de route à l’élaboration d’un futur partenariat.

Avant votre rencontre avec Monseigneur Célestin-Marie Gaoua, évêque de Sokodé, que connaissiez-vous du Togo ?

Peu de choses. Je savais que c’était un pays de l’Afrique de l’ouest, qu’il a eu des liens étroits avec la France. J’ai rencontré une fois ou l’autre des personnes qui en venait. Ma connaissance de ce pays restait très limitée et très générale.

Quel fut votre réaction lorsque vous avez reçu la demande de partenariat de l’évêque de Sokodé ?

Elle m’a d’abord un peu surpris. Ensuite, quand j’en ai vu l’origine, elle m’a paru un peu moins surprenante, en tout cas elle m’a appelé à plus d’ouverture et de curiosités.

Le père Emmanuel Gosset, vicaire général du diocèse de Beauvais, a fait une coopération au Togo pendant son service militaire, avant de devenir prêtre. Ainsi, il connait depuis un certain nombre d’années l’actuel vicaire général du diocèse de Sokodé. Ils sont amis. Alors, je me suis dit je n’allais pas mettre cette demande à l’écart.

Pour le diocèse de Beauvais, des liens existent déjà : la venue de prêtres pendant l’été pour remplacer les prêtres de l’Oise en congés, la paroisse de Méru qui soutient un collège de Sokodé… Ces liens d’amitiés tissés aident-ils à aborder ce partenariat ?

Oui et, en même temps, ce partenariat n’est pas encore défini. Les liens, qui ont pu être créés, constituent déjà une base. Néanmoins, nous voyons bien de la part de Mgr Gaoua une vision beaucoup plus large, plus profonde. Nous souhaitons un partenariat réciproque, ce n’est pas simplement que nous puissions accueillir, mais qu’il puisse accueillir, que l’on puisse étudier de manière beaucoup plus large les liens qui peuvent se créer et les apports mutuels que nous pourrons nous faire dans la vie de nos deux diocèses.

Vous avez reçu en septembre dernier Monseigneur Gaoua pour évoquer ce partenariat en gestation. Comme s’est déroulé ce premier échange ?

Ce fut très fraternel. J’ai été très impressionné par Mgr Gaoua. C’est un homme sage, cordial, simple et ouvert. Je l’ai senti très proche de son diocèse, très désireux d’en assurer le développement à la fois harmonieux et équilibré mais intégral. Je m’explique. Mgr Gaoua ne désire pas simplement un développement spirituel. Il veut aussi donner à son diocèse les moyens de l’annonce de l’Evangile avec le souci non seulement de prêtres, de protagonistes de l’évangélisation bien formés, nourris spirituellement, mais également des acteurs qui ont une certaine compétence dans la vie sociale et éducative : comptabilité, expériences agricoles, etc. Ainsi, l’Eglise qui est à Sokodé pourra se donner les moyens de son action.

La tentation pour un diocèse européen, c’est d’y voir la possibilité d’accueillir des prêtres qui manquent dans les paroisses. Y êtes-vous favorable ?

Je suis favorable à l’accueil de « prêtres venant d’ailleurs », comme on le dit dans notre jargon d’Eglise, mais de manière très régulée. Pourquoi ? Je pense que les diocèses africains sont eux-mêmes face à des défis assez importants qui sont ceux d’une forte expansion démographique, ceux d’une évangélisation qui est encore toute récente et qui n’a pas atteinte ses limites dans les territoires. Nous avons encore de grands diocèses africains, des communautés très dispersées malgré des vocations assez nombreuses. Nous avons aussi les phénomènes d’une évangélisation qui rencontre encore soit des courants spirituels « naturels » comme l’animisme, soit l’islam. Dans ces conditions-là, les évêques d’Afrique ont des besoins propres réels.

Ensuite, il y a la question culturelle. Même pour des pays francophones, la question de la venue de prêtres d’Afrique dans nos régions ne va pas sans poser des questions importantes ! Ce sont des écarts culturels, économiques, psychologiques, sociétaux qui ne sont pas si simples que cela à affronter et qui peuvent dans certains cas déstabiliser, surprendre en tout cas les prêtres africains.

Leur venue mérite que l’on mette en place des procédures, des conditions d’accueil, d’immersion. Il existe déjà des choses mais il faut les accompagner au niveau local pour que les prêtres ne soient pas là seulement pour servir de bouche-trous. Je crois que les dimensions culturelle, pastorale, fraternelle réclament que l’on mesure les enjeux d’un tel accueil et ses difficultés. Nous devons être prudents.

Pour ma part, je ne suis pas particulièrement d’accord pour accueillir des prêtres à court-terme. Evidemment, nous devons accueillir des prêtres étudiants, mais nous savons que la priorité pour des prêtres étudiants, ce sont les études. Nous savons qu’ils vont pouvoir nous prêter un coup de main pour un ministère en week-end. Cependant, ce n’est pas le tout de la pastorale. Dans la dynamique pastorale, je pose la question aux communautés : comment veulent-elles envisager leur avenir ? « Importer » des prêtres parce que nous n’avons pas les vocations pour maintenir le « système antérieur » ? Ce n’est pas simplement en demandant à des personnes – qui viennent d’assez loin – de faire ce que des prêtres qui sont nés ici, qui ont grandi ici, qui ont été formés ici, faisaient il y a quelques dizaines d’années ! Ça me semblerait être une solution vraiment naïve ou complètement surréaliste par rapport à la situation dans laquelle nous sommes, par rapport aux enjeux de la nouvelle évangélisation aujourd’hui et des moyens qu’il faut lui donner pour qu’elle prenne racine et se développe.

Je suis favorable à l’accueil de « prêtres venant d’ailleurs » mais de manière très régulée

L’Eglise Catholique dans l’Oise n’aurait-elle pas le rôle d’une grande sœur à jouer ? Que pourrait-elle apporter au diocèse de Sokodé ?

De « grande sœur » ou de « vieille sœur » ? L’évangélisation dans l’Oise est beaucoup plus ancienne que dans le diocèse de Sokodé (elle remonte au 3ème siècle). Qu’est-ce que nous pouvons apporter ? Dans la mesure où nous imaginons que le diocèse de Sokodé connaîtra dans quelques années ce que nous connaissons aujourd’hui, alors notre expérience que nous pouvons lui partager pourra le préparer à affronter les défis dans lesquels nous sommes nous plongés jusqu’au cou. Mais d’un autre côté, si l’on regarde notre monde sécularisé, individualiste, où l’esprit religieux semble atténué, au contraire nous pouvons penser que c’est la jeunesse, la vigueur de l’Eglise de Sokodé qui peut nous réveiller, nous donner force, courage et espérance. Je ne sais pas si je dirai grande sœur mais je verrai les choses de manière plus égalitaire.

Que pourrait l’Eglise de Sokodé apprendre à l’Eglise de Beauvais ?

Elle peut nous apprendre que la vitalité, la fécondité de l’Evangile ne sont pas épuisées, finies. Nous avons une jeune Eglise qui nous montre que l’Evangile vient bousculer des hommes et des femmes d’une autre culture et leurs ouvrir des chemins d’espérance, de salut, qui ne se réduisent pas simplement au développement économique. Je connais peu le diocèse de Sokodé, mais il semble qu’il connaisse une proportion importante de musulmans. Il est vraisemblable que cette expérience des chrétiens de Sokodé vis-à-vis des musulmans pourrait nous être utile, même si nous pouvons imaginer que le contexte culturel africain soit très différent du contexte culturel français. Cette expérience du diocèse de Sokodé n’est pas immédiatement transposable, mais en tout cas nous pouvons penser qu’un partage d’expérience dans ce domaine-là pourrait nous être utile.

La première étape est-elle d’apprendre à se connaître, à vivre une communion spirituelle ?

Certainement ! Par exemple tous les matins, je prie pour le diocèse de Beauvais, celui de St Etienne – car son évêque a été prêtre du diocèse de Beauvais – et désormais j’invoque la petite Thérèse, Sainte Thérèse de Lisieux (patronne du diocèse de Sokodé) en lui confiant ce partenariat, cette première rencontre, ces premiers échanges que nous avons eus ou que Mgr Gaoua a eu avec un certain nombre de personnes du diocèse en voyant si c’est une bonne chose pour le diocèse de Sokodé et le diocèse de Beauvais. Cette communion spirituelle est importante. Cependant elle doit ensuite s’incarner, c’est-à-dire que nous-mêmes nous devons répondre à la proposition de partenariat et à la charte que Mgr Gaoua a élaborée avec un certain nombre de prêtres, et son conseil, et voir comment tout cela peut se rencontrer, se conjuguer, se renforcer, et créer de vrais liens de fraternité.

Quelles sont les étapes à franchir avant de formuler ce partenariat ?

Pour Beauvais, il y a certainement une réflexion, au-delà du conseil épiscopal, sur les domaines dans lesquels nous pourrions soit apporter, soit recevoir une aide. Puis je pense qu’il faut du temps, il faut des rencontres à Sokodé pour rendre l’échange à la visite de Mgr Gaoua. Nous devons voir comment cela peut se vivre. Il ne s’agit pas que deux évêques décrètent un jumelage, il faut que l’on puisse en parler de telle manière que cela suscite un intérêt et crée des liens, que cela apporte à l’un et à l’autre des diocèses des éléments qui sont nécessaires à la mission. Il faut du temps, il faut des rencontres, pour discerner ce qu’il faut faire, ce qui est prioritaire. Nous avons évoqué l’agriculture, l’enseignement catholique, des formations civiles dans le domaine de l’agriculture, de la comptabilité, de la communication… il faut voir si cela suscite de l’intérêt ou bien si cela tombe.

Quand allez-vous à Sokodé ?

Je ne sais pas. Bientôt, j’espère.

 

Propos recueillis par Julien Serey

Publié dans Peuples du Monde n°480, janvier-février-mars 2018