Une vie au service de l’Asie du Sud-Est

Jean-Claude Didelot est éditeur. Il arpenta pendant de nombreuses années les couloirs des éditions Fayard où il développe aussi les éditions du Sarment.  En 2001, il fonde les éditions du Jubilé. A 22 ans, il découvre l’Asie du Sud-Est, puis quelques années après René Péchard. Il se met alors au service des jeunes du Mékong, accueillant des séminaristes en France.

Quand avez-vous découvert l’Asie et plus spécifiquement le Mékong ?

Lors de ce premier voyage à bord du Laos. C’est à l’occasion de l’escale de retour à Saigon que j’ai rencontré pour la première fois le drame des réfugiés clandestins. Cet épisode trop long à relater ici est raconté dans « Piété Filiale » (Editions du Jubilé).

Quel rôle a joué René Péchard dans votre rapport à l’Asie et à la foi ?

Un rôle essentiel. Sa rencontre, en 1964, a bouleversé ma vie. Il venait d’un tout autre univers que le mien et avait déjà beaucoup souffert. C’était un homme pudique dans l’expression de sa foi. Mais il vivait l’Evangile.

A ses côtés, vous vous êtes engagé dans l’Association pour la Protection de l’Enfance du Laos puis Enfants du Mékong. Vous présidez aujourd’hui l’Institut du Fleuve. Ces associations interviennent auprès des jeunes. Comment définiriez-vous leurs activités ?

René Péchard a laissé un testament écrit et enregistré (consultable sur le site Web de l’Institut du Fleuve) qui résume notre collaboration, « sans aucune ombre », depuis notre échange épistolaire en 1964, la fondation à sa demande en 1967, en France ce qui allait devenir « Enfants du Mékong », son rapatriement du Laos en 1976 pour en prendre la présidence dans laquelle je lui succède à sa mort survenue en 1988. En 2001, j’ai quitté Enfants du Mékong pour fonder l’Institut du Fleuve en fidélité aux origines. Je ne saurais mieux les définir qu’en le citant : « Notre action auprès des jeunes qui nous sont confiés par le Seigneur est un véritable sacerdoce. Nous devons nous donner corps et âme à ce travail d’éducateur, d’exemple d’une vie chrétienne pour en faire au moins des hommes honnêtes. Nous ne devons pas oublier que nous avons un apostolat à conduire auprès d’eux. Prions d’abord pour les jeunes que nous fréquentons, pour que le Seigneur les appelle et aimons-les d’un amour évangélique… Qui accepterait un mode de vie, une foi proposée par quelqu’un  qu’il n’aimerait pas, qui serait pour lui un « fonctionnaire » ? Nous devons donc être à la fois le père exigeant et la mère douce qui cherche surtout à comprendre gestes et paroles de l’enfant, de l’adolescent et par cet amour le guider avec toute la fermeté mais aussi la discrétion qu’exige cet âge de l’adolescent et même du jeune adulte.

Le travail administratif, les surveillances, le soutien scolaire et mille détails occupent beaucoup notre vie mais ne nous laissons pas prendre à ce piège pour oublier l’essentiel : la prière qui peut seule nous permettre d’accomplir notre tache. Prière toute simple en dehors des prières rituelles : après une visite, une pensée pour Dieu qui nous aidera à solutionner le problème que l’on vient de nous exposer – une invocation entre deux dossiers. Ainsi toute notre journée sera une prière.

Nous devons aimer particulièrement les plus pauvres, les plus démunis de moyens matériels bien sur, mais de moyens spirituels, de moyens intellectuels. Ce sont ceux qui nous donnent le plus de soucis par leur indiscipline, parfois leur violence qui doivent faire l’objet de nos soins particuliers. Il peut nous arriver de devoir renvoyer l’un d’eux pour des questions de conduite, de discipline grave et répétée : ce ne doit être qu’exceptionnel et nous ne devons pas les abandonner pour autant. Nous devons même hors du foyer, dans la mesure du possible trouver pour eux les solutions qui les garderont dans une vie droite imprégnée de christianisme, même si nous n’avons pu en faire des chrétiens ».

Et l’évangélisation dans tout cela ?

René Péchard prêchait d’exemple et respectait scrupuleusement les statuts areligieux de l’association. Aujourd’hui, l’Institut du Fleuve est une association privée de fidèles dont la règle de vie est l’exhortation apostolique « Christi fideles laici ».

Vous insistez beaucoup auprès des jeunes de vos associations à se confier, à prier le frère Marcel Van. Daniel Ange le qualifie « Van, c’est la sainteté pour aujourd’hui… la sainteté des pauvres, des petits et des fragiles ». Que peut-il représenter pour les jeunes des pays du Mékong d’aujourd’hui ?

Marcel Van, dont les éditions du Jubilé / Le Sarment ont fait connaitre la vie en France sous la plume des pères Daniel Ange et Marie Michel, est un exemple de foi, de courage, d’humilité, non seulement pour le Vietnam mais pour tous les pays, spécialement la France. Son message ne saurait être récupéré.

Dans le prolongement de votre engagement associatif vous créer les éditions du Sarment en 1979. Dans quelle circonstance ?

A la suite du départ volontaire d’un jeune à la veille de ses dix sept ans. J’étais son parrain. Il habitait dans le sud de la France et m’avait appelé au téléphone quelques jours auparavant : « La vie est trop compliquée ». Bouleversé, j’ai alors démissionné de mon poste de directeur du développement du groupe jeunesse d’Hachette pour fonder les éditions du Sarment, aujourd’hui éditions du Jubilé / Le Sarment essentiellement consacrées à l’annonce de la Bonne Nouvelle à tous.

Est-ce votre œuvre d’évangélisation ?

Plus exactement, c’est l’œuvre des auteurs de la maison. Je ne suis qu’un vecteur.

Vous y publiez le cardinal Ratzinger (futur Benoît XVI), mais aussi des évêques comme Mgr Xavier Nguyen Van Thuan. Vous poursuivez cette activité aujourd’hui avec les éditions du Jubilé, dont vous êtes le président depuis la fondation en 2001. Que recherchez-vous à publier le récit de missionnaires ou l’enseignement, la réflexion, le témoignage de prélat asiatique ?

Mgr François-Xavier Nguyen Van Thuan a été une grande rencontre. J’ai publié une grande partie de ses œuvres qui, toutes, comportent le mot « espérance » dans leur titre. Il est crédible car c’est un témoin de la foi tout comme le sont tant et tant de prêtres et religieuses missionnaires de terrain, humbles, entièrement donnés… et trop peu connus.

Pendant quelques années, vous avez présidé le magazine Peuples du Monde. Quel souvenir en gardez-vous ?

Je dirai de « Peuples du Monde », et d’autres revues missionnaires, ce que je viens de dire des missionnaires eux-mêmes ! Leur connaissance concrète des pays et des populations l’emporte sur bien des « spécialistes » qui transforment leurs brefs passages en fond de commerce médiatique. J’ai beaucoup appris de cette responsabilité… et bien peu donné.

Le Pape François a dit que l’avenir de l’Eglise était en Asie. Est-ce aussi votre avis ?

Le pape a une connaissance universelle que je n’ai pas. Tout ce que je puis dire c’est mon immense admiration pour les Eglises de ces pays… et ma crainte devant le déferlement du matérialisme et de la corruption, bien plus dangereuses que la persécution.

Mgr Nhat, évêque de Bui Chu, vous confia « jusqu’au sacerdoce » plusieurs candidats de son diocèse. Vous racontez volontiers que les évêques du Vietnam doivent faire face à une demande plus forte que de places au séminaire (places sévèrement contingentés par le gouvernement). Combien de jeunes avez-vous accueilli en France ?

Ma femme et moi en avons accueilli un certain nombre du temps où les relations entre les évêques de ces pays avec la France étaient difficiles. Cette période est maintenant révolue, mais nous avons la joie d’assister aux ordinations sacerdotales ou diaconales de ceux qui nous avaient été confiés précédemment. Rien que pour cette année, quatre ordinations…

Pouvez-vous nous dire comment les avez-vous accueillis ?

Dans un premier temps dans une maison que nous avions ouverte près de Pau pour un apprentissage du français avant d’être admis dans un séminaire et, parfois avec un passage à l’Ecole Catholique Internationale de Prière et d’Evangélisation « Jeunesse Lumière ». Ensuite, conseillé par des correspondants vietnamiens, et toujours en accord explicite avec leurs évêques, nous leur proposions une entrée dans divers séminaires soit diocésains, soit au séminaire international d’Ars.

Avez-vous une idée du nombre de séminariste que vous avez recueilli ?

Tout ce que je peux dire, c’est qu’aucun de ceux que nous avons accueillis n’a été infidèle à son appel. Pour le reste, que mettons pas de chiffres sur ce qui reste spirituel.

Comment se passait leur formation ? Aviez-vous créé un séminaire ?

Il n’a jamais été question de créer un séminaire, et, encore moins, de prendre des initiatives qui n’auraient pas eu l’agrément explicite de leurs évêques. D’ailleurs, notre implication s’est allégée au fur et à mesure des rencontres entre ceux-ci et les responsables en France. Aujourd’hui, elle n’est que priante. ..

Existe-t-il une fraternité des prêtres vietnamiens qui vous ont été confié ?

Les prêtres accueillis par l’Institut du Fleuve ne sont en aucun cas dépendants de nous qui ne sommes que des relais pour un temps. Pour le reste, il est normal que les prêtres de même origine et ayant suivi le même parcours, nourrissent des liens d’amitié. Dans la grande tradition de l’Asie, ils se montrent particulièrement fidèles et attentionnés à notre égard ce qui nous touche beaucoup.

Sont-ils tous repartis au Vietnam ?

A peu près la moitié d’entre eux sont repartis pour le Vietnam. Les autres sont insérés dans des diocèses en France. Parfois provisoirement.

Que ressentez-vous lorsque vous assistez en juin aux ordinations sacerdotales ?

Une immense joie, à vrai dire, indicible. Le plus souvent, au cours de ces cérémonies, et plus particulièrement le lendemain lors de leur première messe en vietnamien, se côtoient le jeune prêtre, le diacre ordonnés la veille, un ou plusieurs autres ordonnés les années précédentes, des jeunes encore séminaristes. L’émotion est très grande et console des épreuves rencontrées.

Vous aimez dire que tous ces candidats sont le fruit du sang des martyrs des pays du Mékong ?

Je le crois effectivement.

Qu’aimeriez-vous retenir de ce chemin ?

Dans l’Evangile, tout est vrai.

Propos recueillis par Julien Serey

Publié dans Peuples du Monde n° 476 – janvier, février, mars 2017